Aucune bavure à craindre : les sépultures mises à jour par les archéologues datent du XIVe siècle. Des fouilles qui nous éclairent sur l'origine de Lutèce.
Depuis avril dernier, l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) fouille les entrailles de l'île de la Cité, à l'emplacement de la nouvelle salle d'accueil du public de la préfecture de Police. En mai, l'archéologue Xavier Peixoto découvrait une dizaine de sépultures, avec leurs squelettes, datant du XIVe siècle. Ceux-ci appartiennent à des anonymes et ont été transportés manu militari dans un laboratoire pour expertise. Pas sûr que l'ADN nous en apprenne davantage.
Cette fouille, effectuée au coeur de l'île de la Cité, est une occasion inespérée pour percer le secret des origines de la capitale française. Tels des Shadoks, Peixoto et trois de ses confrères n'en finissent pas de creuser le sol, remontant les siècles les uns après les autres. Fin mai, ils avaient dégagé les fondations de l'église de Saint-Éloi construite en 1632 par l'ordre des barnabites. Cet édifice religieux fut démoli en 1858 par le préfet Haussmann pour bâtir, à la place, la préfecture de Police. À noter que la façade de l'église a été récupérée pour être plaquée contre l'église Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux, où l'on peut encore l'admirer. En poursuivant leurs fouilles, les archéologues sont donc tombés sur une dizaine de tombes antérieures de trois siècles à l'église de barnabites. À l'époque, une église plus ancienne s'élevait à proximité, datant de l'époque mérovingienne.
À la recherche des Gaulois
C'est au VIIe siècle que l'orfèvre saint Éloi, qui habitait dans le coin, fait bâtir le premier monastère féminin à Paris. Il s'élevait toujours sous la préfecture, mais un peu plus à l'est de la zone actuellement fouillée. Il est donc improbable que Peixoto en trouve les fondations. Le roi Dagobert y avait adjoint un cloître et deux églises pour accueillir les trois cents religieuses. Au XIe siècle, celles-ci fraternisant d'un peu trop près avec des soldats, elles sont chassées de leur monastère par Galon, évêque de Paris, au profit des moines venus de l'abbaye bénédictine de Saint-Maur-des-Fossés. Les archéologues de l'Inrap ont déjà atteint le niveau gallo-roman par endroits. " La présence de nombreuses poteries et d'ossements animaux fait penser que nous sommes à l'emplacement d'un dépotoir utilisé par les habitants de maisons toutes proches."
Mais le plus intéressant reste à venir. Dans un petit mois, les archéologues devraient atteindre la période précédant la conquête romaine de - 52. Celle de la Lutèce gauloise, capitale des Parisii. Question cruciale : celle-ci se trouvait-elle effectivement dans l'île de la Cité, comme on l'a cru durant des siècles ? On en doute de plus en plus, car aucune fouille entreprise jusqu'à présent dans l'île n'a relevé les traces d'une cité gauloise. Voilà quelques années, lors du creusement du parking de la rue de Lutèce, les archéologues avaient trouvé des trous circulaires pouvant avoir été creusés par les pilotis d'une habitation gauloise. Mais la datation a été revue à la hausse récemment, inscrivant cette éventuelle habitation dans la période gallo-romaine. Plus troublante encore, en 2003, une grosse bourgade gauloise est découverte à Nanterre. Elle a été justement détruite à l'époque de la conquête romaine. La coïncidence est frappante. "D'autant que la Seine fait une boucle autour de Nanterre, ce qui a pu la faire assimiler à une île. Dans ses mémoires, n'oublions pas que César localise Lutèce dans une île", note Peixoto.
Réponse décisive
Bref, Lutèce se situait-elle à Nanterre et non dans l'île de la Cité ? Aujourd'hui, de nombreux archéologues en sont persuadés. Après tout, les Romains avaient l'habitude de reconstruire les villes ennemies conquises et incendiées dans des sites convenant davantage à leur sens esthétique et urbanistique. Dans le cas présent, sur les pentes de la montagne Sainte-Geneviève dominant la Seine et face à un gué.
Dans un petit mois, Xavier Peixoto pourrait apporter la réponse décisive quant à l'emplacement de la Lutèce primitive. Que va-t-il trouver sous la préfecture de police ? Les traces d'un oppidum gaulois ou rien que la grève d'une île semi-émergée ? Les poulets du 36 quai des Orfèvres sont sur les dents...
Le chantier de la préfecture de police sera ouvert au public le week-end prochain dans le cadre des Journées de l'archéologie (7-8-9 juin 2013). Renseignements : www.inrap.com.